Grammaire du français
-Approche énonciative
CHAPITRE
N° 18 - La Complémentation [Extraits]
1
Introduction
L’opération qui consiste à compléter un verbe ou un
énoncé est extrêmement complexe, en grammaire traditionnelle,
du fait de l’imbrication souvent inextricable entre le sémantique
et le syntaxique.
Il se moque de son frère.
[c’est un complément syntaxiquement rattaché au verbe de
façon indirecte, objet de la moquerie - COI]
Il est occupé à travailler sa rédaction [COD]
dans
sa chambre. [C. Circ. de lieu]
Il fixe ses valises [COD] au
porte-bagages. [C. Objet indirect
ou C. Circ. de lieu ?]
Il se rend à Paris [COI ou C.C.
de lieu ?] pour affaires.
[COI ? ou C.C. de but ?]
Il travaille son jardin [COD] avec
sa bêche. [COI ? ou C.C. de
moyen ?]
Voilà
donc un aperçu des problèmes de classification et d’analyse
dans lesquels on s’engage quand on ne dispose pas d’une théorie
des compléments qui, basée sur des critères simples
et définis, permettrait d’établir des regroupements et une
terminologie plus clairs.
Le
verbe reste le pivot syntaxique auquel se rattachent tous les compléments.
Cependant le sémantique risque de nous entraîner dans de l’hétéroclite.
2
Vue d’ensemble
Rôle
du verbe
Il
sert : - de relateur entre deux arguments (Voir chapitre 2)
- de référent par rapport à la réalité
extralinguistique, car il est porteur de sens.
Par
exemple, "manger"
sert de relateur entre "mangeur"
et "mangé",
mais désigne aussi l’action du "mangeage".
Le
verbe joue un rôle central dans la construction syntaxique de l’énoncé.
Commentaire
La
réalité foisonnante des énoncés attestés
peut présenter des dispositions très variées.
Tous
les groupes nominaux ou nominalisés sont posés comme complémentaires
du verbe, y compris le groupe Sujet.
Les sujets grammaticaux (ou Compléments de rang 0) sont obligatoires
(sauf à l’impératif, à l’infinitif ou au participe)
: on est obligé d’utiliser il
ou c’
quand le sujet réel est exprimé plus loin :
Il
est bon
de s’entendre avant tout.
C 0 / Sujet grammatical
Sujet réel.
Le
verbe s’accorde obligatoirement avec le sujet grammatical.
Les compléments de rang 1 font partie du procès lui-même
: entre le verbe et le C 1, le lien syntaxique et sémantique est
très fort. C’est ce que traditionnellement on nomme l’Objet : on
pourrait dire que l’Objet est l’objectif visé.
Il boit son lait.
[Objet à construction directe]
Il rit de son frère.
[Objet à construction indirecte]
Il va à Paris.
[Objet à construction indirecte = objectif du déplacement]
Comme
on le voit, les trois verbes, même dépourvus de compléments,
contiennent un complément sous-entendu : en effet on boit toujours
quelque chose, on rit [un rire], on va [quelque part], on court [une course]...
Les compléments de rang 2 font aussi partie du procès,
mais non de manière obligatoire. Le lien qui les relie au verbe
est moins fort.
Il grimpe à la corde
[C 1] à la force des bras
[C 2 = moyen ou manière].
Il vole des portefeuilles
[C 1] aux pauvres voyageurs entassés
[C 2 = détrimentaire].
J’ai payé le poisson
[C 1] dix francs la livre
[C 2 = valeur ; c’est une sorte d’attribut].
On
ne peut pas classer ce type de compléments dans les « circonstanciels
» : ils sont intégrés directement au procès
lui-même : forcément, on vole quelque chose à quelqu’un,
on paie une marchandise à tel prix, on accomplit un trajet à
telle vitesse.
De
plus on ne peut pas dire non plus qu’ils sont toujours « indirects
» : cinq francs le kilo n’est introduit par aucune préposition
!
On
peut, à partir de la 4°, rapprocher ce problème de complément
second, du point de syntaxe anglaise concernant les verbes dits «
à double complément d’objet » : to give somebody
something.
Les compléments de rang 3 ou « circonstanciels »
n’ont pas de relation serrée avec le procès, mais apportent
à l’énoncé des informations supplémentaires
qui lui servent de repère et qui sont parfois d’une pertinence fondamentale.
Dès cinq heures du matin
[C 3 de temps], j’entends le bruit des
voitures.
Ce monsieur prend toujours son parapluie,
malgré
le soleil [C 3 d’opposition].
En Guadeloupe comme en France
[C 3 de lieu],
il sort nu tête.
Leur
mobilité dans l’énoncé est plus grande que celle des
C 1 et des C 2. Sans être liés au procès de manière
intrinsèque, ils sont essentiels au sens du message. Ils ne complètent
pas le verbe lui-même, mais l’énoncé tout entier :
ils lui apportent des informations de temps, d’espace, de manière,
de simultanéité, d’opposition, de concession, de cause, de
but, de conséquence. Il peut s’agir :
*
de groupes nominaux, comme ci-dessus
*
d’énoncés nominalisés : dès notre arrivée...,
à cause de la pluie...
*
d’énoncés introduits par des conjonctions comme : que,
dès que, comme, pendant que, alors que, bien que,
du fait que, puisque, si bien que, etc.
*
d’énoncés participiaux : le temps aidant..., vu la rapidité...
3
Application pédagogique
[Voir
le manuel]
Indications
pédagogiques [extraits]
Progression
générale
En
6°, on se fixe pour objectif une simple introduction au problème.
- Faire prendre conscience de ce qui vient avant et après le verbe.
- Apprendre à distinguer les compléments du verbe et ceux
de l’énoncé.
- Distinguer clairement entre le complément et l’attribut du sujet
:
Pierre est médecin. [appartenance,
c’est un attribut]
Moscou est la capitale de la Russie. [identification,
c’est aussi un attribut]
Il mange du chocolat. [complémentation]
La
construction directe ou indirecte du Complément d’objet a une implication
sur la passivation possible ou impossible et sur l’orthographe du participe
passé employé avec l’auxiliaire avoir.
En
5°, l’étude détaillée des compléments devient
indispensable, avec leurs différentes formes et fonctions.
La distinction attribut / complément devient prioritaire.
La passivation et l’accord du participe doivent être acquis.
En
4°, après une brève révision, on commence à
aborder les compléments de forme complexe de type « propositions
participiales, infinitives ou subordonnées ».
En
3°, le problème de la complémentation n’est pour autant
pas résolu : analyse et production doivent automatiser les acquis
antérieurs, grâce à des exercices oraux et écrits
en étude de textes et en rédaction.
Conseil
: Bien insister sur le fait que le rang syntaxique des compléments
n’a rien à voir avec son importance dans le message.
[…]
Fin de l’extrait
CONCLUSION
:
-
Il ressort de là un effort pour éclaircir un chapitre de
la grammaire du français qui généralement pèche
par la confusion du sens et du fonctionnement grammatical.
-
En fait, tout ce qui dans un énoncé n’est pas verbe ou auxiliaire
du verbe est rattaché au verbe qui sert de pivot à l’énoncé
: ainsi la notion nouvelle de Complément zéro pour désigner
le sujet grammatical du verbe permet d’éviter la confusion entre
sujet grammatical et sujet réel.
-
De plus, le classement des compléments en rang 0, 1, 2 ou 3 n’est
pas destiné à figer ou à mécaniser le classement
des compléments mais reste un moyen de faire apparaître la
relation plus ou moins serrée qui existe entre chaque complément
et le verbe.
-
Cet extrait sera insuffisant pour l’enseignant ou l’étudiant curieux
: il est alors conseillé de lire le chapitre en entier et de compléter
cette lecture avec celle du chapitre 30.
Bon
courage…
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